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L'industrie du troisième millénaire

  in Le Monde, 19 avril 2001, HORIZONS Portrait, première de couverture.

 

Thierry Ehrmann est un drôle de corps. Patron d’une PME prospère de la nouvelle économie, associé avec Bernard Arnault, il brave la crise et professe une philosophie anarcho-marxiste qui dérange la bourgeoisie lyonnaise.
Portrait d’un atypique.
 
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Il n’est pas surpris de voir, « après les effets de lumière de ces dix-huit derniers mois », les espoirs d’argent facile s’évanouir comme autant de mirages : « Internet, c’est une culture, assène-t-il. On peut être l’homme le plus riche du monde, on apprend pas le russe en quinze jours. » Lui, il parle l’Internet comme une langue maternelle. Ayant eu très tôt l’intuition de l’importance des contenus, quel que soit le tuyau, il développe depuis plus de quinze ans des banques de données thématiques à partir d’informations publiques qu’il collecte, enrichit, et met en ligne à la disposition du grand public. D’abord sur Minitel, puis sur la Toile : « Quand j’ai découvert l’Internet aux Etats-Unis à la fin des années 1980, j’ai décidé de retarder mon suicide de vingt ans », sourit-il.
En 1985, il avait lancé la première Bourse électronique de fret, où transporteurs et clients pouvaient entrer en contact directement. La fureur des intermédiaires, débarqués en commando dans ses locaux, ne l’a pas refroidi, mais au contraire conforté dans l’idée que « la richesse est dans le partage de l’information ». La nouvelle technologie lui a permis d’améliorer et d’étendre son offre : après avoir bousculé – il dit « déréglementé » - les marchés des annonces légales, des textes juridiques, des conventions collectives, des faillites, etc., il s’est attaqué, avec Artprice.com, « au plus opaque de tous les marchés, celui de l’art ». Depuis huit ans, Thierry Ehrmann a acquis les principaux livres de cotes internationaux et autres fonds éditoriaux pour alimenter une banque de données qui donne aujourd’hui la cotation en continu de 183 000 artistes, et prochainement 1 million de biographies. Qu’en pensent les marchands d’art ? Thierry Ehrmann jubile : « C’est ça Internet, un combat contre les conservateurs, qui ont toujours bâti leur richesse sur la rétention de l’information. »
Autre certitude de toujours : le contenu ainsi proposé a un prix. « La gratuité de l’information est une hérésie. D’un point de vue freudien, le lecteur doit s’acquitter d’une somme pour accéder à l’info. » Celle qu’il produit n’est qu’une matière première –« Nous sommes tout sauf des journalistes » -, mais elle se vend bien à une clientèle vite captive et accro : « Les banques de données sont des machines à sous extraordinaires. » Lui-même est un consommateur d’infos boulimique. Il consacre trois heures quotidiennes à la lecture de la presse, selon un cérémonial précis : « Cela se fait dans un lieu public, sous le regard des autres, loin du bureau et du téléphone. » Alors, chaque matin, il gare sa Jaguar devant un bistrot, étale une trentaine de titres sur la table, épluche, annote, découpe des dizaines d’articles qui seront ensuite indexés. « L’info, c’est de la came, c’est un shoot. La revue de presse, c’est le bonheur du matin. Pour elle, j’ai renoncé à des rendez-vous avec des ministres. »
Si son goût pour la rhétorique agace parfois ses interlocuteurs, tous reconnaissent son efficacité d’homme d’affaires. « Visionnaire mais pas rêveur » pour ses amis, il est longtemps passé pour « un fou dangereux » aux yeux de ses concurrents. Il est vrai qu’il parle de la Netéconomie comme s’il était à la tête d’une troupe de rebelles : ses partenaires et ses réseaux sont des « companeros », sa stratégie est la « guérilla ». Il faut « combattre et évangéliser car, croit-il, 2001 sera une année décisive pour la révolution de l’Internet. Ceux qui s’entêteraient à n’y flairer qu’un coup technologique ou boursier sont condamnés : « Ils ne comprennent
pas que la question n’est pas économique mais idéologique. Internet a créé une nouvelle caste, celle des seigneurs ou des barbares du Net, martèle-t-il. Le barbare, c’est celui qui transperce le limes de l’empire romain en apportant une autre culture. Etre barbare aujourd’hui, c’est s’affranchir des données économiques du XXè siècle. Les Européens sont persuadés que les barbares vont s’agenouiller à cause des marchés financiers ; ils ne se rendent pas compte qu’une révolution a commencé, marxiste au sens de la lutte des classes. Tous les jours sont produites des lignes programmes qui contribuent à ébranler les vieux systèmes. Notre caste est jusqu'au-boutistes. »

Jean-Jacques Bozonnet
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